PIERRE CASSEMICHE TUE A LA GUERRE D'ALGERIE LE 17 MAI 1961
Texte rédigé à partir du témoignage recueilli par P. MOREAU le 1er mai 1994 auprès de Madame et Monsieur CASSEMICHE Jean. |
Le Brigadier Pierre Armand Léon CASSEMICHE né le 26
août 1939 allait avoir 22 ans et venait de commencer ses
études de
chirurgien dentiste.
Il avait, depuis quatre semaines, rejoint la caserne située dans la commune de MAILLOT en
Algérie, Département de TIZI-OUZOU, Arrondissement de BOUTRA après une préparation
militaire de six mois à MELUN.
MAILLOT a été rebaptisé depuis l'indépendance M'CHEDDALLAH et compte, en 1994, environ
30100 habitants.
Simplement appelé sous les drapeaux pour accomplir son service militaire, il n’avait
jamais été volontaire pour participer à cette guerre.
Le 17 mai 1961, son lieutenant organisa une sortie dans le Djebel avec une dizaine
d'hommes.
Officiellement, c'est à l'occasion d'un accrochage avec l'ennemi au cours de cette sortie
que Pierre CASSEMICHE trouva la mort.
Les circonstances exactes furent connues plus tard, après enquête d'un ami de Monsieur
CASSEMICHE exerçant dans la magistrature.
L'équipe de soldats français poursuivait un fellaga qui avait fait feu sur la troupe et
qui s’était réfugié dans le lit d'un oued.
L'un des français lança une grenade en direction de l'ennemi et Pierre CASSEMICHE fut
grièvement blessé à la tête par un éclat de cette explosion.
Il mourut quelques heures plus tard sans que rien, sur le plan chirurgical, ne puisse
être réellement tenté.
Madame et Monsieur CASSEMICHE se rendirent immédiatement à ALGER auprès de leur fils
décédé.
Si l'accueil par les compagnons de Pierre fut attentionné, les époux CASSEMICHE
décrivent la salle où reposait le corps du défunt comme n'étant pas entretenue, avec
des cafards sur les murs et le drapeau tricolore recouvrant le cercueil souillé de
tâches grasses.
Des obsèques militaires provisoires eurent lieu en Algérie dans l'attente du
rapatriement.
Madame et Monsieur CASSEMICHE durent prendre à leur charge le coût de leur transport
pour le retour en France.
C'est seulement le 13 juin 1961 que le corps fut rapatrié.
Lors des obsèques à TURNY, les époux CASSEMICHE
refusèrent les médailles données à
titre posthume.
Ils firent retirer les rubans tricolores sur toutes les gerbes de fleurs, ainsi que le
drap tricolore qui couvrait le cercueil.
Raoul DUBOIS Maire de Turny, ainsi que le représentant du Préfet dont les discours
avaient également été refusés par la famille, ne manifestèrent pas officiellement
leur désapprobation même si, à mots couverts, Madame et Monsieur CASSEMICHE furent
qualifiés de communistes.
Seul un cousin des époux CASSEMICHE, Michel GAUTHIER, prononça un discours hostile à
cette guerre et aux responsables qui faisaient massacrer les jeunes innocents.
Ce texte de M. GAUTHIER n'a pas été conservé et aucun article de presse relatif à ce
drame n'a pu être retrouvé.
Les années qui suivront ce drame seront marquées par de nombreuses cérémonies à la
mémoire du défunt, et toutes souligneront cet aspect sordide de la guerre d'Algérie et
des guerres en général.
Toutes les générations d'enfants de la commune, de 1961 à 1974, ont été vivement
sensibilisées à ce drame par l'instituteur Lucien ROLLAND ainsi que par la Municipalité.
Chaque année, à la date anniversaire de sa mort, les élèves de toutes les classes du
primaire se rendaient à pied, depuis l'école, en rang par deux, bouquet de fleurs au
bras sur la tombe du défunt.
Le 14 juillet était marqué chaque année par une
cérémonie souvenir très émouvante,
organisée par l'instituteur Lucien ROLLAND et le
Maire Raoul DUBOIS, en présence des
parents de Pierre CASSEMICHE et des Turrois, dans la salle de réunion du conseil
municipal.
Ce rappel à la mémoire du défunt, se terminait par une distribution de jouets voulue
par Madame et Monsieur CASSEMICHE à tous les jeunes enfants de la commune.
Enfin les traditionnels 8 mai et 11 novembre donnaient l'occasion au Maire de rappeler que
Pierre CASSEMICHE, enfant de Turny, était "Mort pour la France".
Les parents de Pierre, en proie à une douleur extrême, ont vu depuis ce jour de mai 1961
toute leur vie détruite.
Trente trois ans après, ils se demandent toujours à quoi cela a-t-il servi.
Notes :
1) Les parents de Pierre firent graver par Simon GOLDBERG, (sculpteur/graveur (1913/1985), une médaille de 25 cm de diamètre à l’effigie du défunt. Sans doute vendue par les héritiers, cette médaille a été retrouvée en 2008 sur un forum de collectionneur place de l’ours à Lausanne en Suisse. http://placedelours.superforum.fr/.
2) Laurence BENAÏM autrice du livre « La sidération (stock
2021) » a repris dans le chapitre 23 le témoignage recueilli auprès les époux Cassemiche
https://www.google.fr/books/edition/La_sid%C3%A9ration/Xt8SEAAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=pierre+cassemiche+guerre&pg=PT101&printsec=frontc
3) Sans doute parce qu'il s'agissait d’une guerre coloniale, la mort du jeune Pierre CASSEMICHE eut un retentissement particulier dans la population locale. Elle a provoqué chez les habitants une indignation unanime et une solidarité totale auprès de la famille. Cet événement que l'on peut qualifié de "drame communal" a profondément affecté toute une population qui ne se sentait pas jusque-là vraiment concernée par cette guerre lointaine. A Turny, la mort de Pierre CASSEMICHE est devenue une sorte de symbole. Le symbole de l'absurdité des guerres. Dans le registre du conseil municipal de Turny, aucune ligne ne mentionne ce traumatisme du village. Seules deux délibérations des 17 février 1960 et 30 août 1961, octroyant à chaque appelé en Algérie un mandat d’une valeur de 30 F, rappellent que les jeunes gens de Turny, aussi, sont allés là-bas.
"Un Homme est mort qui n'avait pour défense que ses bras ouverts à la vie"
Paul Eluard